Bulle immobilière, mythe ou réalité ?
La question de l’existence d’une bulle immobilière est dans tous les esprits depuis près de 20 ans. C’est justifié car nous vivons dans une économie de bulle depuis bien longtemps.
Oui : les prix des actifs, mobiliers ou immobiliers, sont supérieurs à ce qu’ils devraient être « en l’état normal des choses ». Qu’est-ce que « l’état normal des choses » ? C’est un environnement financier où les taux d’intérêt de long terme seraient égaux au taux de croissance nominal de l’économie sur longue période (taux de croissance du PIB potentiel + inflation). Or, en Europe, les taux longs tournent autour de 0 % (quand ils ne sont pas négatifs) alors que la croissance du PIB nominal avoisine 2 %. Aux Etats-Unis, les taux à 10 ans sont inférieurs à 2 % alors que la croissance du PIB nominal est à 4 %. Dans ces conditions, s’endetter est facilement rentable, d’où le taux d’endettement record (public et privé, et pas seulement dans l’immobilier) dans les pays de l’OCDE. La question n’est donc pas de savoir si nous sommes dans une économie de bulle et d’endettement : la réponse est oui. La question est de savoir si nous allons en sortir. Pour le coup, ma réponse serait plutôt négative, en tous cas à court et moyen terme, ce qui a évidemment des conséquences cruciales pour l’immobilier.
Il faut comprendre d’où vient la faiblesse de ces taux de long terme. D’après la macroéconomie traditionnelle, le taux d’intérêt équilibre l’épargne et l’investissement. Si les taux sont faibles, c’est simplement qu’il y a énormément d’épargne dans le monde (notamment parce que la population vieillit) et pas beaucoup d’investissement (notamment en raison des incertitudes géopolitiques). Mais des travaux récents de la Banque des Règlements Internationaux sont venus montrer que le niveau des taux d’intérêt de long terme était avant tout déterminé par les actions des banques centrales. Les marchés obligataires anticipent que la FED comme la BCE vont maintenir des taux directeurs très faibles voire négatifs pendant très longtemps. Ainsi, c’est bien la politique monétaire des banques centrales qui nous maintient dans une économie de bulle et d’endettement. C’est un choix et non une fatalité macroéconomique. D’autres travaux sont venus montrer que la FED réagissait moins au niveau de l’inflation aux Etats-Unis qu’aux évolutions des marchés financiers, et que la BCE réagissait moins au niveau de l’inflation dans la zone euro qu’aux spread de taux. Autrementdit, la FED veut enrichir les actionnaires américains (dont les futurs retraités), et la BCE veut assurer la solvabilité des Etats qui, comme l’Italie, sont surendettés. Les deux grandes banques centrales prennent des libertés par rapport à leur statut qui est surtout centré sur la lutte contre l’inflation et la déflation. En Europe, les taux 0 veulent agir comme l’inflation autrefois : en améliorant artificiellement la solvabilité des emprunteurs. On peut discuter longtemps du bienfondé d’une telle politique. Comme je l’ai écrit à de nombreuses reprises, j’y suis à titre personnel plutôt défavorable. A tout le moins, si personne ne pense sérieusement qu’il faille rendre la politique monétaire plus restrictive, sans doute faut-il la rendre neutre. Mais à la limite peu importe. Telle est la réalité : nous vivons dans une économie de bulle et nous ne savons pas en sortir.rience.
Quelles sont les incidences de ces politiques monétaires et de ces taux durablement proches de 0 pour le marché de l’immobilier ? Les prix devraient rester élevés et le marché tendu. En effet, l’offre immobilière est relativement inerte, que ce soit pour le neuf ou l’ancien. La demande dépend des capacités d’endettement. Or en France, celles-ci n’ont pas épuisé leurs marges de progression. Certes, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) s’est inquiété fin 2019 de la progression de la production de crédits dans notre pays. Ce faisant, le HCSF est parfaitement dans son rôle. La production de crédits est élevée, leur durée s’allonge et le taux d’effort des ménages (qui rapporte l’encours de crédits aux revenus) s’alourdit. Le HCSF demande en conséquence aux banques de caper le taux d’effort, de limiter la durée des crédits à 20 ans et de ne pas perdre d’argent sur ces crédits, même si cela passe parfois par une remontée des taux facturés aux ménages. Les demandes du HCSF sont justifiées et, de fait, de nombreuses banques suivent déjà ces bonnes pratiques. Mais il n’y a pas péril en la demeure en France. Les crédits sont le plus souvent à taux fixes, la durée moyenne des crédits dépasse à peine 20 ans et les comptes d’exploitation des banques ne sont pas si défavorables, malgré la faiblesse des taux d’intérêt. La dialectique entre la volonté de la BCE de pousser l’économie et le crédit et la volonté des organismes de régulation d’inciter les banques à être raisonnables fonctionne de ce point de vue plutôt bien. Après, il faut le dire et le répéter : les économies développées sont en voie de fragmentation géographique et l’immobilier en constitue un parfait reflet.
Parler de bulle en général est inapproprié. La demande immobilière (en logement mais aussi en tertiaire) est très concentrée. La troisième révolution industrielle métropolise. Elle concentre les richesses. En témoigne ce chiffre hallucinant : l’Ile-de-France représente moins de 20 % de la population métropolitaine et pourtant, en 2019, elle a concentré 45 % des créations d’emplois de notre pays. On comprend mieux la tension qui existe sur les prix de l’immobilier comme à Bordeaux, Toulouse, ou dans toutes les métropoles dynamiques.
A l’inverse, on voit dans certains territoires provinciaux des prix de logements qui tendent vers 0, dans la mesure où la dépopulation génère un effet boule de neige : moins d’habitants, c’est moins de commerces, moins de services publics, moins de transports et donc moins d’habitants. Ces territoires ne sont pas forcément économiquement perdus. La métropolisation génère ses propres limites sous forme de congestion, de pollution et de difficultés à accéder au logement. L’immobilier dans la France périphérique va mal aujourd’hui. Il serait déraisonnable d’en conclure qu’il ira mal demain.
Nicolas Bouzou
Economiste et Essayiste
Directeur du cabinet de conseil Asteres
Article issu du magazine Consult&Moi N°9