Environnement de taux bas, voire négatifs, les conséquences sur les rendements des actifs
Confronté à un environnement de taux historiquement bas, comment doit réagir un investisseur en ce début d’année 2020 ? Sans doute en comprenant d’abord comment cette situation inédite a pu survenir ; en s’interrogeant ensuite sur l’évolution à venir. Il peut en découler une stratégie pour l’épargne entre risques et rentabilité.
L’année 2019 s'est caractérisée d’abord par un retour des interventions massives des deux grandes banques centrales mondiales, la Fed américaine et la BCE européenne. La conjoncture en est la première explication.
En fin d’année 2018, l’ensemble des prévisions de croissance allaient dans le même sens : celui d’un ralentissement généralisé, plus ou moins marqué selon les zones. Deux facteurs se conjuguaient : le retournement du cycle économique d’une part, la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis d’autre part.
Le retournement du cycle était une évidence dans une situation de chômage mondial historiquement bas, synonyme de croissance potentielle réduite comme rarement. La guerre commerciale, quant à elle, était devenue une réalité depuis que l’administration Trump avait appliqué ce que le candidat avait promis, à savoir un protectionnisme et une fermeture des frontières américaines, tout spécialement à l’encontre des produits chinois.
La Fed américaine estimait encore en décembre 2018 que l’année à venir permettrait de relever un peu plus ses taux directeurs, afin d’emmagasiner des marges de manœuvre si la conjoncture se détériorait plus fortement. Mais une intervention présidentielle changea la donne. Par Twitter, Donald Trump exigeait au plus vite une inflexion de la politique monétaire, afin de soutenir une économie potentiellement chancelante. Peu importait au locataire de la Maison Blanche que la banque centrale fût indépendante, l’agenda électoral et la perspective des élections de 2020 justifiait toutes les pressions même les plus discutables du point de vue institutionnel. Dès le mois de janvier, le conseil de la Fed répondait à l’injonction présidentielle en annonçant d’abord une stabilisation des taux directeurs puis une baisse devant se poursuivre si nécessaire tout au long de l’année.
La conséquence de cette volte-face fut de tendre le marché des devises, en particulier le change euro dollar. La monnaie européenne s’appréciait, pénalisant un peu plus les puissances exportatrices du vieux continent. Au premier rang de ces dernières, l’Allemagne affichait des indicateurs de plus en plus inquiétants, au point de frôler la récession au troisième trimestre. Cette situation poussait la BCE à réagir. Il était nécessaire de procéder à une baisse symétrique des taux européens en dépit d’une latitude a priori plus faible que son homologue américaine. En effet, la BCE n’avait pu remonter ses taux pendant les années 2017 et 2018 sans doute du fait de la vulnérabilité de pays majeurs : l’Italie et la France, dont les déficits et les dettes publiques n’avaient pas été contenus, à la différence de l’ensemble de la zone euro. Mario Draghi, Président de la BCE, n’hésita pas à utiliser l’arsenal à sa disposition : le refinancement des banques (LTRO), celui des Etats (QE), et la baisse des taux pour relâcher la pression sur les changes.
Ce faisant, l’économie européenne se retrouvait avec des taux négatifs et en territoire inconnu. Cette situation a de multiples conséquences, comme celle de rendre hasardeux les métiers d’assureur ou de banquier ; ils induisent aussi une perte de confiance potentielle dans la monnaie sur le long terme, ce qui peut détruire durablement les mécanismes fondamentaux de l’économie. Autant dire que les taux négatifs sont un piège dont il faudrait sortir au plus vite. Une remontée des taux pour repasser au-dessus de la limite fatidique, pourrait être envisagée ; à la fin de l’année 2019, la banque de Suède par exemple a déjà décidé de cesser l’expérience.
Une remontée plus forte est-elle envisageable ?
La première raison, la plus valable, serait un retour de la croissance. Ce cas de figure ne s’annonce pas vraiment. Les capacités de rebond de l’économie mondiale semblent faibles et les facteurs de tensions se multiplient. A moyen terme cependant, un changement de modèle global, pour répondre au changement climatique, est une éventualité plausible. Les aspirations des populations et surtout leurs comportements semblent aller dans ce sens. Il est certes difficile d’en anticiper l’échéance, même si le sens de l’Histoire paraît être celui d’une accélération. Dans un tel scénario, l’accroissement du risque d’investissement plaiderait pour une rémunération plus forte de ce dernier, donc pour un mécanisme haussier global, de l’investissement, de la croissance et donc des taux d’intérêt (ce qui doit interroger des pays comme la France de ne pas alors se trouver pénalisés par leur très haut niveau d’endettement antérieur).
A plus court terme et en dehors de cette évolution structurelle, la principale hypothèse d’une hausse des taux serait celle d’un autre retour inattendu : l’inflation. Ce changement n’est pas totalement exclu. Il pourrait survenir par exemple à l’occasion d’une flambée des coûts de l’énergie. Celle-ci serait provoquée par les grands producteurs, ou, plus plausible, par une montée de tension géopolitique.
Plus largement, l’accroissement de la volatilité est l’une des caractéristiques de l’environnement financier actuel. Les taux bas et les mesures des banques centrales entraînent des phénomènes de bulles, provoquées autant par l’afflux de liquidité que par la rentabilité nulle ou négative des placements traditionnels. Dès lors, deux chemins extrêmes s’offrent à
l’investisseur : profiter au maximum des opportunités, en acceptant le principe d’un possible retournement au gré d’événements politiques ou conjoncturels ; ou se résigner à des rendements faibles en privilégiant la liquidité et les actifs classiques de repli. Une voie médiane peut aussi s’envisager : celle de rendements décorrélés des conditions de financements ; les actifs susceptibles de produire une rémunération doivent alors être analysés en fonction de leur exposition au marché de la dette et à ses fluctuations à venir.
Philippe DESSERTINE
Economiste
Spécialiste en macroéconomie
Article issu du magazine Consult&Moi N°9